28 avril-15 mars 2011, Galerie Marquardt, Place des Vosges Paris

Gilbert Erouart peut, comme Georges Duhamel, "se vanter de persévérer dans le changement".

Sa précédente exposition avait consacré une nouvelle incarnation: après avoir été historien d'art, puis diplomate, il se révélait peintre -le peintre de figures à la fois "absentes et présentes" avais-je dit, car simultanément saisissantes d'expressivité et menacées d'être happées par l' achromatisme des fonds noirs ou blancs.

Mais Gilbert, malgré le succès rencontré par sa première manière, entendait persévérer à changer, à "devenir qui il est". Dans les portraits récents, il emprunte aux grands peintres de la Renaissance certains personnages pour leur donner un grand bain de contemporain. On peut y croiser le Doge Loredan de Giovanni Bellini cigarette à la main (une "carte vitale" dépasse de la poche de son veston !?!), la Mona Lisa de Léonard chaussée de bottes d'un cuir rouge fauve ou encore, faisant sa révolution sociale, la Bia d'Agnolo Bronzino, la fille naturelle de Cosme 1er de Médicis, en blouson simili et foulard de jeune anar autour du cou. Chez un peintre moins doué, c' eût été risqué, pur gimmick... Mais Gilbert dépasse le simple hétéroclisme, l'ironie facile, et réussit à faire de ces figures si connues de troublantes étrangères. Dans le même mouvement, il laisse s'exprimer son érudition et renoue ainsi avec l'un de ses avatars passés, l'historien et critique d'art; il en devient plus intègre, plus complet, plus personnel. Il y a toujours autant de réussite dans les effets -forcer le regard, susciter le doute, voire l'inquiétude-, mais de nouveaux moyens sont déployés pour les atteindre: marque d'un peintre profondément fidèle à sa sensibilité et, en même temps, à l'inspiration vivante et renouvelée. Plusieurs vies en une seule, un talent de peintre sûr et multiple. De fait, de quoi "se vanter".

Jack Lang

8-25 avril 2010, Galerie Maison Maol, Paris

"Un portrait porte absence et présence"... La pensée de Pascal m'est venue en découvrant que Gilbert était non seulement un Janus historien d'art et écrivain-diplomate, mais aussi le peintre de ces figures décontextualisées (comme Marlène Dumas ou John Currin, il fouille et triture la photographie, notamment celles de la mode ou de Pierre Gonnord), de ces personnages adossés à des déserts de noir ou de blanc et assemblés pour former d'étranges "familles recomposées".

Pascal complétait : "Un portrait porte... plaisir et déplaisir." Et c'est encore le mot juste pour dire le trouble du spectateur devant l'humour noir de ces visages, leur ironie sous-jacente, mais aussi l'inquiétude, le désarroi parfois. Dans ces ambiguïtés, presque ces antagonismes, Gilbert prolonge sûrement ses propres cassures, l'écartèlement entre le coron minier de l'enfance - un noir minéral domine ses premières toiles - et les ors des ambassades, des palais italiens, de la Villa Médicis dont il aura été le pensionnaire. Nul doute, Gilbert est là dans son monde ; entièrement.

Jack Lang